Face, tu gagnes

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Islande encore.

Ma Karine m’accompagne, ou bien je la suis. Enfin, nous voyageons de concert.

Il a neigé sur les hauteurs durant la nuit. Les flancs des montagnes sont saupoudrés d’une neige d’un blanc éclatant qui contraste avec le gris des névés résiduels salis par les poussières de basalte et avec la teinte sombre, presque noire, de la roche volcanique omniprésente.

Les sommets alentour, bien que de hauteur modeste, restent invisibles sous les amas de nuages qui déferlent de l’ouest.

La pluie intermittente qui nous accueille a traversé l’Atlantique nord, peut-être depuis le Labrador ou les côtes du Gröenland.

La météo maintient ses prévisions funestes d’averses et de froid et comme pour s’en excuser, nous informe que durant les trente dernières années il n’a plu que trois fois un vingt-six mai.

L’air de ne pas y toucher, j’ai repéré sur la carte magique des lacs ouverts à la pêche en ce début de saison, un ensemble de trois petits bassins (petits à l’échelle de l’eau en Islande, c’est-à-dire moins de 10km²) nouvellement accessibles, à 25km d’ici.

Par un heureux hasard, la route puis le chemin que j’emprunte lors de notre balade matinale passent justement  à proximité.

Je n’aime rien tant que ce type de pêche éclair dans des eaux inconnues, que je ne reverrai peut-être jamais.

Elle requiert une analyse rapide mais précise de la configuration générale du lac, qu’on peut anticiper carte au 1/50 000ème en main : accès aux berges depuis la route, zones profondes et hauts fonds probables, situation des tributaires qui alimentent le plan d’eau. Il faut faire le choix de la zone de pêche unique qu’on prospectera durant le bref laps de temps disponible pour découvrir ce que recèle l’endroit. Une demi-heure à deux heures, c’est la durée moyenne de ces pêches à la volée, qui émaillent nos déplacements automobiles touristiques autour de l’île.

En Islande l’exercice est le plus souvent couronné de succès eu égard à la densité exceptionnelle de salmonidés présents dans ces eaux.

J’y ai vécu des pêches de découverte au leurre rapporter une trentaine de poissons par heure et des séances de pêche à la mouche à peine moins époustouflantes.

L’absence totale de prise, même sur ce type d’exercice impromptu est exceptionnelle en soi. Je ne l’avais rencontrée qu’une fois, lors de mon deuxième séjour sur l’île, à l’occasion d’une pêche éclair rendue particulièrement difficile par un vent tempétueux. Un capot sur une quinzaine de lacs ainsi pêchés.

J’en ajoute un second aujourd’hui. Sous la pluie, le lac a décidé de conserver ses secrets pour moi.

Nous reprenons la route pour Akureyri.

La beauté des paysages nous tient en haleine quatre heures durant, bien que nous ayons effectué ce trajet à plusieurs reprises depuis notre premier séjour.

L’Islande envoutante est ici : chaos minéraux traversés d’innombrables rivières, champs de lave émaillés de moutons et de chevaux trapus, sommets enneigés brièvement découverts par des éclaircies fugaces, le tout magnifié par le pinceau lumineux sans cesse en mouvement des rayons de soleil au travers des nuages.

Bref arrêt à Blonduos, grosse bourgade située à l’embouchure de la Blanda, une des rivières à saumons les plus prolifiques du pays (2600 captures en 2013), les plus chères à pêcher aussi.

Je tente ma chance en mer près de l’embouchure.

Une vingtaine de lancers à l’ondulante me rapportent deux truites de mer, entre les touffes de varech qui accrochent trop souvent mon leurre et le rendent inopérant.

La plus belle fait cinquante centimètre. Elle me gratifie de nombreux sauts spectaculaires.

Je la conserve car elle a subi une blessure à l’œil durant le combat.

Du sashimi de truite sera au menu ce soir.

Akureyri nous voici !

Cette ville est charmante.

Il fait froid. Il pleut. Il vente.

Un parfait temps d’Islande pour une balade dans les rues.

Les finlandais, qui s’y connaissent également en matière de temps compliqué, ont un proverbe adapté au temps islandais qui nous accueille : il n’y a pas de mauvais temps, il n’y a que de mauvais vêtements !

Avec un sous-pantalon, un pull, un coupe-vent et un blouson on a encore du mal à garder les oreilles au chaud. J’ajoute un bonnet de laine pour faire bonne mesure et enfin me rire des intempéries.

Les islandais qui nous croisent si bien emmitouflés sourient avec indulgence, eux qui se promènent en chaussures ouvertes et socquettes.

Une des particularités de la ville est l’omniprésence des végétaux. Des essences forestières sont plantées par milliers : bouleaux, mélèzes, pins, sorbiers et hêtres composent un paysage « urbain » qui détonne dans l’environnement quasi désertique du nord de l’Islande.

Autour de la ville les flancs de montagne sont essentiellement minéraux, tout juste couverts de lichens et mousses. Plus bas dans la plaine qui s’étend de part et d’autre de la rivière Eyjafjardara, ce sont des prairies et des parcelles cultivées. Fin mai elles sont tout juste labourées et j’ignore ce qui y sera semé ou planté. Il faudra cependant que cela pousse vite ! Des patates peut-être ?

Les arbres, donc, c’est dans la ville qu’on les rencontre.

La démarche date de 1900 lorsque des essais de plantations furent réalisés avec un relatif succès, et le jardin botanique le plus septentrional du monde créé.

Depuis, l’usage s’est généralisé de planter des arbres sur les parcelles autour des maisons.

Le lendemain, je me lève à 5h30.

Les dieux de la météo sont avec moi aujourd’hui : un doux soleil éclaire le fjord, et le vent est tombé. La pétole, hantise des véliplanchistes et autres windsurfers mais suprême délectation pour le moucheur que je suis.

L’océan ressemble à un grand lac. Je scrute sa surface  parfaitement lisse et miroitante sur toute la largeur de ce bras de mer qui doit faire cinq kilomètres devant notre hôtel, à la recherche d’un dos noir, une nageoire ou un souffle blanc, un remous, enfin, une preuve que les baleines et autres lévianthans et monstres marins annoncés pullulant dans les parages ne sont pas que de simples arguments marketting de l’office de tourisme islandais ni élucubration d’ivrogne. Sans succès.

Mais pas en vain, car le spectacle offert à mes yeux est d’une beauté sans pareil.

La neige fraîchement tombée recouvre les montagnes d’un voile scintillant à partir de quatre-cents mètres. Elle en adoucit les contours et quelques cumulus floconneux viennent s’y accrocher, renforçant l’impression de moelleux de ce paysage qui présentait il y a quelques jours le visage noir et anguleux de pentes basaltiques aux arêtes acérées fouettées par la pluie, le vent et les nuages de tempête.

C’est aussi cette capacité des paysages islandais à changer du tout au tout en un temps très bref qui renforce le pouvoir de séduction et d’envoûtement du pays.

Ce que l’on contemple ne durera pas, et comme le proverbe d’Héraclite affirme qu’on ne se baigne pas deux fois dans la même eau, en Islande on ne s’immerge pas deux fois dans le même paysage.

Pas de baleine en vue ? Qu’importe, ce sont les truites et ombles arctiques que je viens chercher ici. Il est six heures trente, la pêche débute bientôt et aujourd’hui je vais caresser l’eau de mon fouet !

Mon dieu que ce pays est enchanteur. Canne en main, je parcours la rive de l’Eyjafjardara parmi les touffes de saules en fleur prises d’assaut par des armées de gros bourdons pelucheux.

Je suis baigné de chants et de cris d’oiseaux.

Courlis Corlieu, chevaliers gambette, sternes arctiques, oies, cygnes tuberculés, canards de toutes sortes (eiders, colverts et d’autres colorés dont je ne sais le nom).

Et partout des nids, c’est la fin du printemps.

Il faut être prudent pour ne pas effaroucher les femelles en pleine couvaison.

Je frôle une eider sur ses œufs, qui s’aplatit telle une crêpe à plumes sur son précieux trésor, immobile, dans l’attente que le danger s’éloigne.

La rivière est d’une clarté stupéfiante lorsque sa surface n’est pas malmenée par les bourrasques, mais le fond est gris cendré et les truites restent invisibles.

Invisibles mais bien présentes. Je prends sept poissons ce matin, la plupart entre cinquante et soixante centimètres.

Je savoure ces heures avec la délectation consciente de celui qui sait leur valeur et leur fugacité.

Je suis heureux ici, les pieds dans l’eau. Fallet aurait aimé cet endroit ce jour-là, c’est son fantôme qui me le dit.

A dix heures trente, le vent se lève.

A onze heures, les rafales dépassent les soixante kilomètres par heure.

La magie disparaît peu à peu.

Islande 2

Auteur : Stéphane HADJOUDJ

Amoureux de nature, passionné des milieux aquatiques et simplement fou de pêche. Je traîne mes cannes partout où des eaux abritent nageoires et écailles pour y savourer l'équilibre, la sérénité et la paix qui ont déserté le reste du monde.

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